Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/163

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cruelles, bien plus redoutables que celles qui y germaient déjà. D’ailleurs, il est, dans le passé des hommes, de ces confidences qu’un mari qui a l’âme élevée ne peut jamais faire à sa femme. Il baissa le front et se tut, navré de ce silence forcé, navré de ce qu’il devinait dans l’âme d’Hermangarde. Elle se tut aussi, la malheureuse, accablée par le silence de son mari, qui ne lui racontait pas sa journée et qui attachait par là dans son cœur une éternelle inquiétude. Ils regagnèrent leur manoir, leur doux nid d’alcyon dans lequel entrait avec eux le grain noir de la tempête, — de la cruelle tempête du cœur. Ils souffraient. Ryno souffrait pour Hermangarde. Il avait la connaissance de ce cœur retenu jusque dans la caresse. Ce Sphinx de félicité muette qui jamais ne disait son dernier mot et se cachait dans l’abîme de lui-même, sous l’étreinte de la volupté, il savait qu’il serait un Sphinx de douleur dévorée, quand il se mettrait à souffrir. On a vu de ces chastes créatures, plus hautes que la vie, qui aimaient mieux mourir que de livrer, pour guérir, un mystère de leur corps à la Science, Hermangarde était de cette race d’âmes ; marbres purs qui ne se raient pas, car se rayer, c’est commencer de s’entr’ouvrir : et elles restent fermées. L’Amour, le Mariage, la Douleur, la Vieillesse, tout en les pénétrant, tout