Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/162

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comme la bandelette d’une coiffure juive, elle avait la beauté touchante des femmes belles qui ont beaucoup pleuré ; car la beauté vraie de la femme est peut-être d’être victime. Ryno, en la regardant, eut comme un éblouissement aux yeux et une contraction dans le cœur.

— « Mon Dieu ! qu’avez-vous, — lui dit-il, — et pourquoi êtes-vous sortie ?

— Je suis lasse et je souffre un peu, — répondit-elle avec un sourire. Elle avait la douceur de ne pas mentir en disant qu’elle souffrait, — Je suis sortie et j’ai trop marché, — ajouta-t-elle en prenant le bras qu’il lui offrit.

« Comme vous avez été longtemps ! — lui dit-elle. — J’ai cru vous voir sur la Vigie et j’y suis montée, mais vous n’y étiez déjà plus. »

Son bras tremblait sur le bras de son mari. Sa voix tremblait ; elle était allée aussi loin qu’elle pouvait aller sans lui adresser une question défiante ou jalouse. Ryno, à son : j’ai cru vous voir, — parole qui tomba doucement de ses lèvres, comme une goutte de sang d’une plaie qui commence à saigner, — Ryno comprit qu’elle l’avait vu, et si elle l’avait vu, elle avait vu Vellini. Il resta muet, comme un homme pris entre deux dangers. Mentir eût été inutile. Dire vrai, dire tout, c’eût été jeter dans l’âme d’Hermangarde des appréhensions bien plus