Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/174

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s’était-elle dit — troubler de mes incertitudes les derniers jours d’une femme excellente dont le bonheur est fait du mien ?… » Cette pieuse pitié l’avait arrêtée. Cependant, tout ce qu’elle avait de jeunesse dans l’âme et de mortelles anxiétés lui donnait des soifs de confiance qu’elle ne devait pas étancher. La perspective morne d’une compression sans bornes l’accablait.

Elle en souffrait plus que jamais, un jour qu’elle était restée seule au manoir. M. de Marigny, qui n’était pas sorti depuis plusieurs semaines, avait fait seller un cheval et était allé à Barneville chercher les lettres qu’ils attendaient de Paris. Dans la disposition de son âme, une chose si simple — le départ et l’absence de son mari, pendant deux heures, — avait causé à Hermangarde un incroyable serrement de cœur. Et pourtant elle n’avait pas voulu s’y opposer ! À une autre époque (elle disait déjà : à une autre époque !), elle eût murmuré câlinement le mot « Reste ! » et il serait resté. Quand il l’embrassa au moment de partir, elle ne lui fit rien entendre, et il partit disant que bientôt il serait de retour, car Barneville est si près ! Il ne pouvait l’emmener. Elle était malade des commencements d’une grossesse dont elle doutait encore, il est vrai, et le médecin lui avait défendu toute espèce de