Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/177

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Voilà donc comme les bonheurs finissent ! Elle resta longtemps dans cette nerveuse pâmoison de larmes, mais la nuit venant plus vite à cause du brouillard qui s’épaississait au dehors, sa femme de chambre étant entrée préparer une lampe, elle voulut lui cacher l’état affreux de son visage et elle alla appuyer son front brûlant sur les vitres de la fenêtre. Elle trouva que la moiteur glacée de la vitre lui faisait du bien. Elle regarda s’il revenait, mais elle ne put en juger. Le brouillard s’élevait sur la grève au delà du havre. Il couvrait Barneville et les Rivières et s’interposait comme un mur d’albâtre gris, inscrutable à l’œil. Seulement, entre le havre et le manoir, on pouvait encore discerner les objets et apprécier les distances. On voyait plusieurs bateaux à sec, à différents points de la grève. Les gros temps des jours précédents les avaient forcés à relâcher dans l’anse de Carteret, et ils attendaient le retour de la marée qui devait les remporter. Parmi ces bateaux qui tigraient le sable jaune de la noire couleur de leurs carènes, il y en avait un plus beau et plus fort que les autres, et qu’Hermangarde prit de loin pour un brick. Il n’était pas couché à moitié sur le flanc, attendant la lame qui le redresserait, mais il se tenait debout et droit, comme s’il eût été sur ses ancres, dans le havre plein. Plusieurs per-