Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/184

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sables mouvants. Mais jamais je ne l’avons rencontrée qu’une seule fois, la Caroline ! et ma finguette ! il y a bien de ça quinze ans… Vère ! il y a bien quinze ans, — répéta-t-il en cherchant dans sa vieille mémoire, comme un antiquaire dans quelque parchemin jauni. — Dans ce temps-là, i gn’y avait pas une seule maison sur toute la côte où l’on n’en glosât, de la Caroline ! C’était un samedi. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je m’en allais à Portbail chercher mes croûtes de la semaine et y coucher pour la foire du lendemain. J’m’étions un peu attardé chez Bonnetard, le boulanger, qui était cabaretier itou[1] et vendait du cidre, sans passe-avant, à Barneville. Un royal cidre, — insista-t-il avec mélancolie, — comme je n’crais pas en avoir beu une chopine depuis ! Ah ! ce soir-là, le temps n’était pas à la brume comme aujourd’hui. Y faisait clair dans les mielles comme dans un miroir. La lune était aussi jaune et aussi reluisante que les plats à barbe de cuivre qui dansent à la porte de la boutique d’un barbier. J’avais le cœur joyeux. J’n’pensais à rien : car c’était le bon temps. On n’avait pas chance de mourir de faim au fond d’un fossé, comme aujourd’hui, un jour ou l’autre. V’là qu’tout à coup, entre les Rivières et les mou-

  1. Itou, — aussi.