Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/186

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aussi vite que mai. E’n’me quitta qu’aux premières maisons, sous Portbail. V’là toute l’affaire ! — ajouta-t-il, en jetant par manière de conclusion un regard sur son auditoire. — D’aucuns disent qu’elle n’d’vise jamais et ne fait de mal à personne. Pourtant, quand on l’a au bout du coude, on n’est pas à noce, ma finguette ! Un vieux cherche-son-pain comme mai n’est pas bien facile à épeurer, mais que le diable me laboure un champ de navets dans le ventre, si, tout le temps qu’elle a été là, j’n’ai pas senti une manière de sueur fraide qui mouillait, sur mon dos, jusqu’à mon bissac !

— Qu’est-ce donc que cette Caroline, père Griffon ? — dit soudainement Hermangarde, en sortant de l’épaisseur de la brume pour entrer au bord du cercle éclairé et en posant sa main gantée sur la lourde épaule du vieux matelot.

— C’est la dame du manoir, la fille à la marquise, — firent à voix basse et en se clignant les yeux le mendiant et le pêcheur. Et ils la saluèrent avec le respect sans bassesse d’hommes hardis et vrais.

— Ah ! la Caroline ! ma gentille dame, — dit l’ancien matelot de Suffren, mettant magistralement les mains dans les poches de son paletot de molleton bleu usé et se balançant sur ses jambes, arquées en pinces de homard,