Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/195

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qu’elle l’avait vue, qu’elle était passée un jour, rapide, mais distincte, dans le coupé de madame de Mendoze, auprès de cette femme expirante qui mourait des coups de Ryno. Elle se souvint du trouble qui l’avait saisi, lui… à cet aspect ; de ce galop, aiguillonné par des préoccupations terribles, qu’il avait fait prendre à son cheval en sortant de Barneville… Exaspérée par ces souvenirs, elle s’insulta intérieurement avec une ironie cruelle d’avoir cru bêtement à l’influence d’un fantôme, quand, à côté de ce fantôme près de s’engloutir dans la tombe, il y avait une femme qui vivait. Son beau visage traduisait bien tous les dévorements de son âme. Elle était pâle, contractée, frémissante. Ses yeux bleus, éclairés d’une expression qu’ils n’avaient jamais eue, — cette espèce d’yeux qui sont si terribles, quand il s’allume dans leur azur le phosphore des cruelles colères, — tombaient par-dessus le feu qui flambait entre elles, sur cette femme mystérieuse qu’elle haïssait d’une haine inexplicable, et qui, pour toute réplique, lui renvoyait un de ces longs regards indolents, tranquilles, endormis dans leur lumière noire, comme les tigres parfois nous en jettent de leur oblique prunelle d’or. C’était un effroyable duel que ces deux regards !

Tout à coup, le hennissement d’un cheval retentit et un homme sortit de la brume.