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dans l’âme de son mari des espaces parcourus par d’autres qu’elle, — avant même qu’elle sût qu’il y avait un Ryno ! Une douleur, vaguement ressentie jusque-là, se précisa cruellement dans ses sensations. C’était la douleur d’avoir épousé et d’aimer un homme plus avancé que soi dans la vie ; un homme qui, comme le Dante, est déjà revenu du Paradis et de l’Enfer ; qui a senti, vécu, aimé, alors qu’on n’était qu’une enfant, roulée dans les langes d’une nourrice, ou une adolescente, somnolente dans les limbes de l’impuberté.

Elle ne répéta point sa question, restée sans réponse, et le silence se replaça entre eux. Une bouffée de vent apporta plus nettement contre la fenêtre les sons de cette cloche lointaine, qui sonnait, dans un coin de l’horizon, pour les morts. — « Comme on sonne ! — dit-elle avec mélancolie. — Est-ce aux Rivières ou à Saint-Georges ?…

— Non, madame, — répondit un domestique qui apportait une lettre à M. de Marigny. — C’est à la Haie d’Hectot, nous a dit le pêcheur Capelin qui vient d’arriver à la cuisine. Madame la comtesse de Mendoze est morte hier.

— Morte ! la comtesse de Mendoze ! » s’écria Hermangarde, devenant pâle et regardant son mari, qui aussi pâlissait.