Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/207

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Par un mouvement céleste de délicatesse féminine, madame de Marigny se leva et gagna le salon, les yeux en larmes. « Qu’il la pleure, — se dit-elle, — car elle meurt pour lui. Mais je ne veux pas qu’à cause de moi il dévore ses larmes, s’il en a encore à lui donner. Ah ! je l’ai bercé sur mon cœur et je sais qu’il a une nature généreuse. Ce qu’il me cache, ce qu’il éprouve, tous les silences, toutes les dissimulations de sa vie actuelle ne le prouvent-ils pas ?… Ce n’est pas sa faute si je vois à travers ses efforts inutiles. Hélas ! je ne suis pas plus aimée que vous, maintenant, madame de Mendoze. Si je vous ai fait souffrir, vous êtes bien vengée. »

Et elle s’assit sur la causeuse, sa tête défaite dans ses mains, et pleurant comme toutes les femmes pleurent, car les plus beaux yeux de la terre ont été créés, à ce qu’il semble, bien moins pour voir que pour pleurer.

Elle y resta longtemps, — mais comme il ne venait pas la rejoindre, moitié crainte et moitié pitié, elle retourna dans la salle où elle l’avait laissé, et elle le trouva à la même place, ne buvant plus, le front dans sa main et blanc comme la nappe qui couvrait la table. Une mortelle angoisse se moulait dans la contraction de ses lèvres et de ses sourcils. — Il ne l’aperçut pas dans la porte entr’ouverte, car