Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/22

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d’imagination d’Hermangarde, — cette idéale Malvina à qui tous les Flers de la terre, avec leurs figures d’Adonis et leur ton musqué, n’auraient jamais arraché un regard seulement de profil, — mais elle est restée assez femme pour reconnaître que l’amour d’une femme pour un homme doit être mêlé de beaucoup de respect et d’un peu de crainte, comme l’amour de Dieu,

« Elle et moi, mon cher vicomte, savez-vous à quoi nous passons notre temps à Carteret ? À supputer sur nos dix doigts tous les motifs qu’a cette chère Hermangarde d’être la plus heureuse des épousées. Chaque jour nous en découvrons de nouveaux, c’est ceci ou cela que nous ajoutons à la somme de tous ses bonheurs. Jamais dévotes n’ont tourné dans leurs doigts les grains bénits de leurs rosaires plus que nous ne roulons et ne déroulons ce long chapelet de jouissances qui compose la vie de notre belle et charmante enfant. Nous voyez-vous bien, d’où vous êtes, recueillies dans cette fervente et perpétuelle occupation ? Le théâtre de ce pieux exercice est un grand diable de château que je n’aimerais pas, si on ne s’y aimait pas tant… De toutes les propriétés de la marquise, c’est la seule que je ne connaissais pas. Ce château, d’un aspect sévère, est bâti sur le bord de la mer, au pied d’une falaise qui le