Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/23

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domine. La mer est si proche, qu’à certaines époques de l’année elle vient battre le mur de la grande cour, construit en talus pour mieux résister à l’effort des vagues. Des fenêtres de la chambre où je vous écris, je vois une longue étendue de grèves assez monotone, et qui ne charme pas beaucoup des yeux usés et fatigués comme les miens. Tout d’abord, vous ne discernerez pas mieux que moi, mon cher vicomte, ce qui a décidé la marquise à choisir sa terre de Carteret pour y venir passer les premiers mois du mariage de sa petite-fille, de préférence à son beau et très commode château de Flers, situé aussi en Normandie ?… Eh bien, la raison de ce choix est la curiosité d’Hermangarde, qui ne connaissait pas la mer et dont la jeune tête est autrement conformée que la nôtre, car elle raffole de cet endroit qu’elle trouve superbe et ravissant. La marquise et moi, nous avons donc sacrifié nos rhumatismes et nos goûts à ce désir de notre fille, et nous avons bravement exposée l’air salé de ces rivages nos délicatesses de grandes dames élevées par un siècle qui se souciait assez peu des beautés de la nature, quoiqu’il en parlât beaucoup. Hermangarde, qui n’a point passé sa jeunesse au fond des boîtes, doublées de satin, où nous avons passé la nôtre sans descendre jamais des talons rouges sur lesquels on nous faisait percher ;