Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/231

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tant le rouge de l’attente l’enflammait ! Malgré sa parure et ses bijoux, elle avait sa laideur boudeuse, triste, rechignée ; cette laideur de lionne qui se fronce et donne un coup de dent au serpent qui la mord au cœur. « Quel dommage qu’elle ne soit pas jolie avec de si beaux ajustements ! » dit tout bas Bonine à sa mère. Elle ignorait, la pauvre fille, qu’il y avait, en cette femme laide, une autre femme, belle entre les belles, qui allait tout à l’heure en jaillir !

Les deux pêcheuses se retirèrent du volet, ennuyées de regarder l’Espagnole immobile, à laquelle leur sens borné ne comprenait rien. D’ailleurs, la nuit était glacée. Il ne neigeait plus, mais il gelait par-dessus la neige, qui se durcissait et que les pieds crevaient avec bruit. Le ciel se montrait par places bleues, entre des nuages fendus que le vent du nord dispersait. Ils passaient tour à tour sur le croissant de la lune, qui semblait courir avec eux dans les airs, comme si, transis par ce temps d’hiver implacable, ils eussent jouté à qui courrait le mieux, dans l’espace immense, pour se réchauffer ! Dix heures sonnèrent. Dans ce pays sauvage, c’est la fin de la veillée. Quand elles sonnent, on éteint la lampe, et chacun de gagner son lit. Au timbre de plusieurs horloges qui se suivirent en retentissant, toutes les cabanes du