Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/240

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les épuiser. À ses propres yeux, il était le Spartiate et l’Ilote. L’Ilote s’enivrait pour dégoûter le Spartiate d’une telle ivresse ; mais, cruauté du sort ! au sein de ces bonheurs maudits, le charme ne se rompait pas. Le fantôme était une réalité vivante qui résistait à la fureur de l’étreinte, et qui y répondait, en la rendant, avec d’inextinguibles pâmoisons. L’ivresse croissait, mais la satiété ne se dressait pas du fond de l’ivresse, et l’Ilote ne dégoûtait pas le Spartiate. En vain, à chaque baiser, à chaque morsure, il s’attendait à voir tomber morts ses désirs, le long de ses veines dégonflées ; son front froidir ; sa poitrine s’apaiser ; mais le Sort — comme disait la superstitieuse Vellini — trompait amèrement son espérance. Plus il se plongeait dans le lac enchanté des caresses d’autrefois, plus il descendait dans cette mer de douloureuses délices, moins il en touchait le fond, — ce fond de sable auquel il aspirait comme à la fin de cette coupable volupté ! Il ressemblait au prêtre égyptien qui voulait voir le néant de l’Isis, longtemps adorée, et qui lui déchirait, d’une main forcenée, ses voiles de lin et ses bandelettes. Hélas ! à chaque bandelette rompue, il trouvait un voile miraculeux, et sous chaque voile déchiré qui tombait, il reparaissait une bandelette ; et la déesse, toujours invisible, défiait et écrasait l’impie de sa mystérieuse divinité.