Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/252

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tenir l’étrier ! » et elle le lui tint. Il la laissa faire comme une mère, ivre de maternité, laisse faire son souverain d’enfant qu’elle admire. De son cheval, il l’embrassa sur la tête, comme s’il y déposait sa pensée. Puis il partit, et elle le regardant du seuil, il eut bientôt tourné la haie qui était en face de la hutte.

C’était une nuit d’hiver rigoureuse, d’un calme morne, d’un silence profond. L’air était fin et le vent piquait. Levée de bonne heure, la lune se couchait de bonne heure. Les premières ombres de son déclin, qui s’en allaient croissant, commençaient à traîner sur les neiges tombées dont elles ne pouvaient amortir le mat éclat. La mer, à la gauche de Ryno, n’élevait pas, comme à l’ordinaire, sa grande voix vague et monotone. Et quoique le froid ne soit jamais, dans nos contrées, assez intense pour saisir la mer, on eût dit pourtant ce soir-là, à son silence, que les glaces l’avaient emprisonnée. Cette nature attristée et muette ; ces steppes de grèves auxquels la neige donnait un caractère qui n’est pas le caractère habituel de ce pays ; le froid, cette chasteté des airs ; tout précipita Ryno du monde de sensations dans lequel il venait de vivre auprès de Vellini, et le replaça cruellement en face de lui-même. Il était maîtrisé par tous ces aspects. Il sentait jusque dans son cœur la main de glace