Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/266

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à la grève. Il n’était pas fâché d’être seul. Mille pensées contraires l’assiégeaient. Il songeait à Hermangarde, à madame de Flers, à laquelle il n’avait écrit que pour lui donner des nouvelles de la fausse couche de sa femme. Il pensait aussi à Vellini, cette fatalité de sa vie, la cause du mal qui était arrivé. Pendant la souffrance d’Hermangarde, il avait reçu plusieurs lettres de la Malagaise ; puis il l’avait vue, de la fenêtre, passer bien des fois sur la grève, les yeux tournés toujours du côté du manoir, ou en canot, avec les pêcheurs, descendant la ligne bleue du havre et gagnant le large, sous un bon vent. « Quelle patience elle a eue pendant ces trois semaines ! » se disait-il en se rappelant l’impétueux caractère de cette femme qu’il n’avait jamais pu dompter. Ce jour-là, — par cette pure et fraîche matinée, — quelque chose lui soufflait qu’elle ne pouvait pas être loin. Il est des êtres qu’on respire sans les voir et dont les vents imprégnés nous apportent, de loin, les émanations ! L’histoire des palmiers, c’est l’histoire des hommes. Une chaloupe à voiles remontait le havre avec lenteur. Quoiqu’il ne discernât rien sous ces voiles brunes qui couvraient, en se renflant, la légère coquille de bois noir d’un bonnet mystérieux et bizarre, il pensait qu’elle devait être là. Aussi descendit-il sur le galet qui bordait le