Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/270

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village, comme le pêcheur qui m’apportait tes lettres et qui ne voyait que visages désolés au manoir. Mais il y avait quelque chose que tu ne savais pas, Vellini, car personne ne le savait que moi seul et elle… C’est que si elle souffrait des tortures d’âme et de corps, à la briser, malgré la force de sa jeunesse, c’était nous qui en étions cause. C’est que si elle fût venue à mourir, comme je l’ai craint à la fin de bien des journées, c’est nous, Vellini, qui aurions été ses assassins ! »

Elle le regarda avec un étonnement fixe. Ils étaient assis au pied de la voile, le dos tourné aux pêcheurs qui ramaient à l’extrémité de la barque. La brise soufflait ses plus favorables haleines et ils allaient, frisant les brisants, comme s’ils eussent voulu arriver en sept quarts d’heure à Jersey, qu’on voyait nettement dans les clartés du temps, blanc comme un linge étendu par des lavandières au soleil.

— « Oui, — reprit-il, comprenant son regard, — nous aurions été ses assassins ! Quand, au Bas-Hamet, je t’ai quittée, il y a trois semaines, toi, mon passé, rallumé avec des voluptés cruelles, et que je fus revenu à Carteret, je retrouvai Hermangarde au bord de son lit, habillée et sans connaissance. Elle ! cette femme élevée dans toutes les délicatesses de la vie, était venue seule, la nuit, à pied, en se cachant,