Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/299

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jusqu’au petit pont ; et la prenant dans ses bras, cette femme intrépide qui traversait pour lui une lieue de grève sous la garde de son poignard et de son intrépidité, il l’embrassa une fois encore avec le sentiment d’un homme qui s’est interrompu de souffrir et qui va reprendre sa douleur. Il s’en revint au manoir, à pas lents, écoutant de loin la Vellini, qui chantait, en gagnant les Rivières, la vieille romance Espagnole :


Yo me era Mora Morayma
Morilla d’un bel catar
, etc.


La voix s’éloignait et se veloutait, tout en s’éloignant. Mais elle était si vibrante et d’une si mâle gravité, qu’elle résonnait dans l’étendue, comme si les sables mous des mielles avaient été des pavés de marbre retentissants. Paroles, air, voix, expression, tout était nouveau pour ces rivages qui n’avaient jamais entendu de chant pareil. Ryno l’écoutait encore en montant le perron du manoir, et les derniers accents en frémissaient à ses oreilles lorsqu’il entra dans le salon où se tenait sa femme. Trop convalescente pour sortir chaque fois que son mari sortait ; craignant d’ailleurs d’être importune ; soupçonnant qu’il retournait de temps en temps au Bas-Hamet revoir cette femme, sortie elle ne savait d’où, et que le vieux Grif-