Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/314

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la vie qui n’est plus ne se recoucha après s’être levé. Ils s’attachèrent à mon cœur, comme des abeilles furieuses s’attachent à un visage. Ni les baisers, ni les caresses d’Hermangarde, ni les abandons de la plus moelleuse intimité, rien n’abattit ces tourbillons de souvenirs qui se mirent à rouler en moi, comme une trombe d’eau qui tourne dans un gouffre. En vain je me retrempai dans les flots de cette sainte intimité du mariage, comme on noie et on neutralise dans les flots d’un vinaigre pur le germe morbide de la peste, enfermé sous les plis d’un papier ou d’un tissu. Ce fut inutile ! Le passé, cette nostalgie du temps, comme le mal du pays est la nostalgie de l’espace, ne me lâcha plus, et vint profaner, par des rêveries insensées, un amour plein, magnifique, infini, et qui jusque-là n’avait réfléchi que lui-même. Ah ! comme je me soulevai contre cela, marquise ! Comme la chevalerie de mon amour pour votre fille se révolta fièrement contre ces aiguillons invisibles, qui faisaient écumer le lion ! Semblable aux mystiques de l’Amour divin, j’avais tous les scrupules des âmes timorées par un sentiment exalté, et ces rêveries qui me revenaient, me semblaient des infidélités latentes et d’involontaires trahisons. Je les combattais comme des remords. Je luttais contre elles comme le guerrier du Tasse lutte