Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/318

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tout cela, marquise, c’était la vie ; c’était dix ans noués dans le fond de nos deux âmes ; c’était bien plus qu’il ne fallait pour que je sentisse, même auprès de notre Hermangarde, comme des bouillonnements de regrets et les âpres chaleurs d’un sang fouetté jusqu’à l’écume par la présence de cette Vellini retrouvée ! Et pourquoi ne l’avouerais-je pas, marquise, à vous qui comprenez toutes choses ? Les souvenirs dont j’étais esclave n’étaient en Vellini que la moitié de son empire. Fantôme vivant des jours passés, elle n’avait pas seulement le prestige alliciant et cruel des mélancolies ; mais elle avait aussi, elle avait toujours le despotisme des plus troublantes sensations. Elle vous coulait dans le corps aussi bien que dans l’âme, toute une jeunesse ressuscitée ! En la revoyant, on éprouvait toutes les vieilles soifs étanchées, toutes les vieilles flammes qu’on croyait éteintes… Par une combinaison fatale et qui expliquait bien, du reste, la durée des passions qu’elle avait inspirées et cette impossibilité de se détacher qui marquait tous les sentiments dont elle avait été l’objet, même dans les âmes les plus frivoles, elle refaisait de chaque regret un désir et rallumait le feu épais des voluptés jusque dans les profondeurs de la tristesse, semblable au volcan qui recommencerait ses éruptions éternelles dans un cratère pulvérisé !