Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/319

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Y avait-il entre mon âme et son terrible regard de ces influences mystérieuses qu’on dit exister entre les éléments et les astres ?… Je ne sais… mais quand je ressentis peser lourdement sur mes yeux cet étrange œil noir si profond que, comme celui de certaines sorcières de la Thrace, il semble doublé de deux prunelles, il se remua pesamment aussi au fond de moi le bitume d’une mer morte de passions, de ferments, de rêves que le temps y avait engloutis, et qui dormaient là, comme les débris des villes coupables, sous leurs eaux torpides et croupies. Alors, contre ces impressions ressorties du gouffre de l’être, l’amour d’Hermangarde était un talisman qui ne savait plus me défendre ! Sa beauté non plus ! J’y venais, chaque jour, avec ardeur, essuyer mes yeux infidèles traînés trop longtemps sur cette Vellini dont ils s’étaient imprégnés comme d’un sable brûlant qui les dévorait ; mais ni mes yeux, ni même mon âme, ne perdaient, dans la contemplation des perfections adorées d’Hermangarde, l’impression prise à regarder cette vieille maîtresse qui résumait dix ans de ma vie, ce succube de mes jeunes nuits, cette jonquille flétrie des Huertas de Malaga ! Ainsi, la beauté la plus admirée était vaincue, une fois de plus, par cette incompréhensible laideur, préférée longtemps à toutes choses et dont la possession