Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/325

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plus, je m’abandonnai ! Je voulus concentrer et dévorer tout mon passé en ces quelques heures de délire. Remonté sur la croupe ailée de ma Chimère de dix ans, j’en aiguillonnai l’ardeur à tous crins, j’en précipitai la course furieuse, j’essayai de la briser sous mon étreinte, pour que, tombés tous deux du ciel, elle ne vînt plus jamais offrir son dos tentateur à ma force épuisée ! Hélas ! marquise, c’était là encore une erreur. Je devais échouer dans cette tentative désespérée. Après l’expérience, le dégoût — ce dégoût purificateur sur lequel j’avais compté — n’arriva pas. Vellini, la bohémienne Vellini parlait de sort, et vraiment elle y faisait croire ! En avait-elle jeté un sur moi ?… Quand on la voyait comme je la voyais alors, étendue par terre sur ces gerbes déliées, avec des torpeurs de couleuvre enivrée de soleil, je ne pouvais m’empêcher de penser à tous ces êtres merveilleux, rêvés par les poètes comme les symboles des passions humaines indomptables ; à ces Mélusines, moitié femme et moitié serpent, à ces doubles natures, belles et difformes, qu’on dit aimer d’un amour difforme et monstrueux comme elles ; et je me répétais que de pareilles fables avaient sans doute été inspirées aux hommes par des femmes comme cette Vellini.

« Ainsi, je sortis de chez elle non pas guéri, comme je l’avais espéré, mais les artères plus