Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/335

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Il faudrait, pour longtemps, s’éloigner de vous, qui êtes une part vivante de notre bonheur ! Ah ! ce serait dur pour tous les trois, je le sais. Mais si vous le décidiez, cet éloignement que j’ai toujours cru nécessaire, je vous obéirais sans murmure. Je ne serais pas moins courageux que vous. Dictez donc ma conduite, chère mère. Dois-je voyager avec ma femme plusieurs années ?… Dites ! Ne plus revoir cette Vellini, n’est-ce pas le plus sûr ?… Tant que je la verrai, tant que j’aurai chance de la rencontrer, je douterai de moi. Elle incarne trop le souvenir, et cette incarnation est si brûlante !… Ah ! je suis las et impatienté de ne pouvoir m’arracher à l’influence de cet être chétif que j’ai brisé un peu plus encore, à force de le presser sur mon cœur ! Je souffre par trop aussi d’être écartelé à deux sentiments contraires ! Pour en finir, j’imiterai plutôt ce prisonnier qui se trancha lui-même avec la hache, laissée à ses pieds par ses bourreaux, la main qu’ils lui avaient scellée dans la pierre. Je me couperai les jointures de ce misérable cœur traîné à deux femmes, et je dirai à Hermangarde : « Ce n’est pas ma faute, à moi, si j’ai aimé Vellini avant de te connaître ! Pourquoi Dieu ne nous a-t-il pas créés le même jour et placés l’un à côté de l’autre dès le commencement de la vie ? Seulement, si ce n’est pas un affreux polype que ce