Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/334

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qu’à elle, pour ne plus revoir Vellini, cette dominatrice Vellini, toujours plus forte que cette âme que j’ai crue forte dans mes jours d’orgueil ! Marquise, en ce moment, je viens de la quitter encore, cette incompréhensible créature, dont vous seule peut-être nous auriez donné le mot, si vous l’aviez connue… Je viens de la laisser froide, lourde, meurtrie, avec un front couvert de vapeurs plus épaisses que tous les miasmes du lac de Camarina, remués par une foudre qui s’y serait éteinte ; se balançant, stupide et morne, dans son hamac. Je l’ai quittée souvent ainsi, croyant qu’enfin ce dégoût, cette laideur, cette stupidité, ces ténèbres, cet anéantissement seraient éternels, mais, hélas ! m’abusant toujours ! Le lendemain, une heure après, avec un mot de sa voix, avec un de ses regards qui s’en vont de côté tomber dans le mien, avec une inflexion de ses membres de mollusque, dont les articulations d’acier ont des mouvements de velours, elle faisait tout à coup relever les désirs, entortillés au fond de mon âme, comme le soleil fait retourner vers lui des convolvulus repliés !… Que ne puis-je dire, sûr que tout est fini de sa sorcellerie immortelle : « Je l’ai vue aujourd’hui pour la dernière fois ! » Mais pour cela, il faudrait s’enfuir, quitter ce pauvre Carteret où vous reveniez ce printemps et où nous avons coulé des jours si paisibles.