Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/338

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juste et mieux appliqué. La veille, le jour même, rien n’indiquait cette fin subite et douce. « Ma chère comtesse, — avait-elle dit à madame d’Artelles, — je crois que c’est mon dernier bonsoir que je vous souhaite. Pourquoi vivrais-je ? mon œuvre est achevée. Ils sont heureux. Je n’ai plus de raison pour durer. » Madame d’Artelles ne voulut point la quitter dans cette rêverie d’une mort prochaine, et elle expira au milieu d’une phrase gracieuse, dans la nuit, en causant avec cette amie, sa partenaire de conversation depuis quarante ans.

Ainsi Marigny avait eu tort de craindre. La marquise était morte dans l’illusion qu’ils étaient heureux. Dieu lui avait sauvé l’angoisse des confidences de Ryno. Quand cette lettre, dans laquelle il avait cherché l’apaisement d’une âme qui étouffe, comme d’une apoplexie de sentiments inexprimables, parvint à Paris, madame de Flers n’était plus, et la comtesse garda, sans en rompre le cachet, cette missive dont l’écriture lui était bien connue et qui ne s’adressait plus à personne. Par un de ces hasards dont se compose la trame mystérieuse du drame humain, peu de jours après l’arrivée de M. et de madame de Marigny, madame d’Artelles remit à Hermangarde cette lettre cachetée, comme si elle l’eût remise à la main même qui l’avait écrite. Elle avait été si longtemps témoin de