Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/340

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n’aimait plus, elle remonta cette lettre page par page, ligne par ligne, presque mot par mot, comme on repasserait dans les halliers qu’on aurait teints de son sang, avec le plaisir douloureux de le voir ruisselant aux épines. Peut-être une âme moins royale que la sienne eût entendu la voix de cet amour qui se débattait sous les regrets et sous des impressions qu’il insultait, pour mieux les vaincre. Elle en aurait été touchée de pitié. Mais elle, non ! Elle ravivait seulement son désespoir en se retrempant dans ces eaux amères. Elle ne comprenait pas les empires partagés et que le cœur de l’homme ressemblât au globe qu’il foule et dont une moitié plonge dans la lumière quand l’autre s’abîme dans la nuit. Le fil de l’âme de son mari, elle ne l’avait plus. Elle se perdait dans ce labyrinthe du cœur d’un homme. Quand Marigny rentra, il la trouva, assise devant le guéridon de sa grand’mère, lisant encore cette énigme qui ne se résolvait pour elle qu’en la déchirant. Il s’approcha d’elle. Sa physionomie lui disait ses agitations.

— « Ah ! — s’écria-t-il, délivré du poids d’un silence qui était la moitié d’un mensonge, — vous savez tout maintenant. Si vous m’avez compris, ne me pardonnerez-vous pas ?… » Et il la prit dans ses bras, pour la première fois depuis qu’elle le savait infidèle.