Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/341

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Elle en frissonna de ce mystérieux frisson, fait de terreur, de volupté, de désir, et qu’ont les jeunes filles que nous pressons pour la première fois sur nos poitrines. N’était-elle pas redevenue jeune fille sous les froideurs de ce mariage, glacé tout à coup par la fierté de l’amour offensé, comme cette blanche fleur qui fleurit sous la neige et la perce au jour de l’hiver ?…

— « Hermangarde, — reprit Marigny, — tu le vois, je t’aime ! Ce n’est pas le hasard, c’est notre grand’mère qui a voulu que madame d’Artelles te remît cette lettre, et non à moi. C’est là encore une manière de nous protéger dans la mort ; de nous rapprocher du fond de sa tombe. Ce que je n’aurais pas osé te dire, elle te l’apprend, elle… Oui ! j’ai été bien coupable, bien entraîné, mais je n’oppose à cela qu’un mot vrai : Je t’aime ! Est-ce que ce mot-là, dit comme je le dis, — et il le disait avec la séduction d’un amour sincère, — ne peut donc pas tout effacer ?

— On n’aime pas deux femmes, — répliqua-t-elle avec l’expression que dut avoir Christine de Suède, quand elle prononça, en regardant sa couronne, le Non mi bisogna e non mi basta de son abdication.

— Mais, — répondit-il, la tenant toujours liée de ses deux bras, — je n’en aime pas