Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/369

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les plus difficiles. Les uns et les autres concluaient de la même manière, quand ils parlaient de l’Espagnole. Les hommes ont presque tous les mêmes pensées quand il s’agit des mêmes mystères, et il y en avait un en Vellini dont on pouvait bien décrire l’effet et la puissance, mais que l’observation humaine dépaysée était impuissante à expliquer.

Or, précisément le même soir où nos Bas-Normands devisaient chez la Charline de la Butte, — car dans ce jeu de la vie, il est de singuliers carambolages de circonstances, — le vicomte de Prosny se trouvait à Paris chez madame d’Artelles, avec la ponctuelle exactitude d’une montre dont elle était le grand ressort depuis quarante ans. Il avait dîné au café Anglais, son restaurant ordinaire, seul, avec lui-même pour tout convive, comme Lucullus chez Lucullus. C’était sa coutume de dîner seul. Il avait observé que la conversation — ce charmant hors-d’œuvre pour les oisifs à table, qui goûtent dédaigneusement du bout des lèvres les ailes de faisan piquées de crêtes ou les coulis d’ortolans truffés, — était une distraction et une duperie pour ceux qui, réellement, savent manger. Aussi, comme les Ascètes, qui redoublent au désert leur tête-à-tête avec Dieu, — comme les amoureux, ces autres Ascètes, qui emportent leurs maîtresses dans la solitude pour que