Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/48

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vait pas voir ce qui plaisait tant dans ce paysage maritime à Hermangarde et à Marigny. Elle était injuste et aveugle ; car sans être amoureux comme ils l’étaient, sans avoir dans ses fécondantes sensations ce réseau d’illusions divines que l’amour jette à tous les objets, il est cependant permis de trouver Carteret un des points les plus pittoresques et les plus originaux de la côte de Normandie. On en jugera par ce plan fidèle, pris dans la perspective d’une longue absence et colorié par le souvenir.

C’est un village d’un double aspect, riant par un côté, sévère par l’autre, bâti au pied d’une énorme falaise : espèce de forteresse naturelle, dressée sur la pointe de la presqu’île du Cotentin. Jersey est en face, — Jersey, cette île hermaphrodite, qui n’est pas française, qui n’est pas anglaise non plus, quoiqu’elle appartienne à l’Angleterre. La tradition de ces rivages raconte qu’à une époque bien reculée, sur ce détroit qui s’est agrandi par la rupture de la falaise, un pont de planches y conduisait. Quoi qu’il en soit de ces souvenirs que les générations se lèguent, Carteret et Jersey se regardent, et de si près qu’on pourrait dire qu’ils se regardent dans le blanc des yeux. D’une rive à l’autre, ils s’apparaissent, vagues ou distincts à l’horizon ; — taches d’un bleu foncé dans la brume, profils de maisons blanches