Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/49

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quand le temps est clair. Assurément, quand on observe le pied de cette roche dumeuse, chaque jour minée davantage par l’irruption du flot qui monte, et dont beaucoup de fragments détachés forment assez loin, dans la mer, une ceinture de brisants redoutables, on est presque tenté d’adopter ces idées d’un voisinage séculaire. Le havre qui s’ouvre devant ces brisants et qui se creuse jusque sous les premières maisons de Carteret, est signalé aux matelots par deux espèces de phares grossiers, — poteaux de bois plantés dans l’eau, semblables, à quelque distance, aux mâts d’un vaisseau submergé. Autrefois, l’entrée de ce petit port naturel était défendue, en temps de guerre, par une large tour à créneaux adossée au roc de la falaise, solidement attachée à son flanc. Cette tour s’appelait la Vigie. Sur sa plate-forme solitaire, on trouvait encore, il y a plusieurs années, une pièce de canon de gros calibre abandonnée, sans son affût, aux pluies du ciel et à la rouille. De ce point élevé, on domine la mer et la grève dont la jaune arène, découpée par les irrégularités du flux et du reflux, offre à l’œil les sinuosités d’une ligne, dentelée d’écume brillante, qui passe sous les Rivières, — village au nom charmant et moqueur, car il n’a de rivières que ses fossés, où l’eau de mer filtre à travers les sables et se ride au