Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/56

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À partir de cette soirée, de cette première impression, ils aimèrent ce village qu’Hermangarde venait de nommer d’un nom si sauvage et si doux, non pas uniquement parce qu’ils s’y aimèrent, comme l’aurait dit madame d’Artelles, mais aussi parce qu’ils étaient dignes, l’un et l’autre, de comprendre tous les langages de la nature sur cette côte écartée, ouverte seulement à quelques pêcheurs, hommes primitifs, et à un petit nombre de matelots, revenus vieillis du bout du monde. La vie qu’ils y réalisèrent ne fut donc point l’existence close et énervée de Paris, que l’on emporte si souvent à la campagne. Le havre, la falaise, les longues grèves, les dunes lointaines, les rochers vêtus de varech, qui apparaissent aux eaux basses, ne furent point pour eux une marine de plus suspendue dans le grand salon de madame de Flers, entre les deux rideaux de la fenêtre à travers laquelle ils auraient pu les contempler et en jouir. Ce n’est pas de cette molle et nonchalante manière qu’ils passèrent leur temps à Carteret. Ils n’y firent point de l’admiration à distance. Courageux parce qu’ils étaient jeunes de sensations et que le bonheur d’être ensemble enlève la fatigue du corps (la seule lassitude qui soit possible), ils abordèrent comme elle le mérite cette rude poésie du bord de la mer, si grande qu’il n’y