Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en a plus d’autre peut-être quand on l’a goûtée. Tout le temps qu’ils ne donnaient pas à l’excellente marquise, ils le passaient — au travail près, dont ils n’avaient pas besoin pour vivre, — comme les habitants de ce pays. Ils le parcouraient en tant de sens qu’ils en eurent bientôt une parfaite connaissance. Ils s’enfonçaient parfois dans les terres, mais ce qu’ils préféraient à tout, c’était d’aller devant eux, en suivant les sinuosités de la côte. Heureusement, ils avaient appris les heures du flux ; car la promenade ne laisse pas que d’être dangereuse, quand on s’attarde sur ces grèves, si vite envahies. La falaise aussi les voyait quelquefois sur sa cime d’un vert foncé ou dans ses anfractuosités profondes. Au bout de quelques mois, il n’y eut pas une de ces anses, creusées dans le rocher, pas une pointe de ces caps, où ils ne se fussent reposés. La pêcheuse de crevettes qui revenait, pieds nus, avec sa hotte au dos et son hagnet[1] sur l’épaule, le douanier qui fumait, assis à trois pas de sa hutte de sable, les apercevaient de loin, regardant la mer, tranquillement assis, les pieds pendants sur le vaste abîme, comme s’ils avaient été deux amoureux du pays, accoutumés, dès leur en-

  1. Petit filet faisant poche, attaché à un cercle en fer dont une faucille serait la moitié.