Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/78

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« — Peste ! mon cher Cérisy, voilà qui est princier ! — lui dis-je, en voyant le luxe de son attelage.

« — Ils ne sont pas très faciles à mener, — répondit-il avec un ton de galanterie digne de son père, que j’ai fort connu et que nous appelions le beau Muguet ; — mais sous la petite main de la señora, ils sont presque aussi dociles que nous.

« — Comment ! la señora ?… » — repris-je. Mais elle s’était déjà enlevée et campée sur le siège, avec la légèreté d’un page. Le cocher était passé derrière la voiture. Elle avait pris les rênes dans cette petite main dont venait de parler Cérisy, et du fouet, qu’elle agita, elle frappa la crinière des deux chevaux de tête, qui, sous le vent de flamme de cette caresse mordante, bondirent, se cabrèrent, et s’encapuchonnant dans les rênes tendues, frémirent d’être si bien contenus.

« Cérisy était monté : « — Quand vous voudrez, señora, » dit-il. L’audacieuse Espagnole sembla frapper à la fois les quatre croupes de ses chevaux. Ils s’élancèrent… Mais au second tour de roue, la voiture revint sur elle-même : tout ce puissant attelage avait reculé. Elle le ramenait en arrière vers moi :

« — Monsieur de Prosny, — me dit-elle avec sa voix grave et ses yeux impassibles, —