Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tous les grands sentiments sont de grandes croyances, et toutes les grandes croyances ne s’appellent-elles pas ? Oui, elle aimait tant Hermangarde qu’elle eût fait volontiers, cette femme du xviiie siècle, des neuvaines à la Vierge Marie, la Protectrice des amours saintes, la Mère de toutes les pitiés, pour qu’elle protégeât la fragilité sublime d’un amour semblable ; pour qu’elle eût pitié d’un si saint amour.

Mais que cela fût ou non, elle n’était pas femme pourtant à s’en remettre uniquement au ciel du bonheur qu’elle lui demandait. Elle pensait à le couvrir de ses propres mains, à l’assurer par des voies humaines. C’était là sa pensée de toutes les heures, comme le prouvera une des dernières conversations qu’elle eut avec sa petite-fille, quelques jours avant de quitter son ancien manoir de Carteret et de retourner à Paris.

Ils n’étaient pas sortis ce jour-là. La pluie tombait depuis le matin, une pluie des derniers jours d’octobre, fine, pressée, filtrant d’un ciel gris et qui semblait ternir la mer en y tombant ; Car la mer aussi était grise et son écume roulait du gravier au rivage. Des fumées cernaient l’horizon. Jersey était noir, — mauvais signe, disent les marins de cette côte. Le vent qui poussait de longues plaintes, en soufflant de la