Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/89

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sur son front tiède et ses longs cils. Détails vulgaires, mais idéalisés par le cœur, par cet amour, beauté et mystère, qui jette des torrents de volupté et de poésie sur toutes les poussières de l’existence ! C’était sans effort et sans combat que la marquise se rassurait à ces spectacles, où l’homme gagne tant en grâce et la femme en puissance, fusion divine de deux âmes qui mêlent leurs facultés en les partageant ! Ah ! quelle femme, fût-elle centenaire, ne s’est pas toujours retournée avec une passion de souvenir vers le bonheur évanoui de l’amour, quand elle a rencontré de ces félicités si bien gravées et si visibles dans la vie, qu’on dirait une eau-forte dont les yeux les plus affaiblis peuvent saisir aisément la perfection et l’empreinte ?… Tels étaient les sentiments de la marquise. Elle jouissait du bonheur de ses enfants, moitié pour eux, moitié pour elle. Elle passait de longues heures, les mains jointes sur sa ceinture, à contempler ce chef-d’œuvre du destin auquel elle avait contribué, et qui condensait tous les bonheurs épars et moins grands de sa vie, en un seul, pour son Hermangarde. On aurait juré qu’elle priait. Et qui sait ? peut-être priait-elle. Elle n’avait jamais été pieuse, mais elle n’avait jamais non plus été incrédule. Ce qu’elle n’avait pas demandé à Dieu pour elle, peut-être le demandait-elle pour sa petite-fille.