Page:Barbey d’Aurevilly – Du dandysme et de Georges Brummell.djvu/59

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ainsi qu’agissait Brummell, sans aucun calcul et sans le moindre effort. Pour qui connaît les femmes, cela doublait sa puissance : parmi ces ladys altières, il blessait l’orgueil romanesque, et faisait rêver l’orgueil corrompu.

Roi de la mode, il n’eut donc point de maîtresse en titre. Plus habilement Dandy que le prince de Galles, il ne se donna point de madame Fitz-Herbert. Il fut un sultan sans mouchoir. Nulle illusion de cœur, nul soulèvement des sens n’influa, pour les énerver ou les suspendre, sur les arrêts qu’il portait. Aussi étaient-ils souverains. Que ce fût un éloge ou un blâme, un mot de Georges Bryan Brummell était tout alors. Il était l’autocrate de l’opinion. En Italie, si, par hypothèse, un pareil homme, un pareil pouvoir étaient possibles, quelle femme bien éprise y penserait ! Mais en Angleterre, la plus follement amoureuse, en posant une fleur ou en essayant une parure, songeait bien plus au jugement de Brummell qu’au plaisir de son amant. Une duchesse (et l’on sait ce qu’un titre permet de hauteur dans les salons de Londres) disait en plein bal à sa fille, au risque d’être entendue, de veiller avec soin sur son attitude, ses gestes, ses réponses, si par hasard M. Brummell daignait lui parler ; car à cette première phase de sa vie il se