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Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/155

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— Une fois dans les rues, ils essuyèrent bien quelques coups de fusils épars… Mais la lune n’était pas encore levée, et, d’ailleurs, elle l’aurait été, que la fumée rougeâtre de l’incendie qui se mit à couvrir la ville comme d’un dais sombre, en eût intercepté la lumière. Il faisait noir dans ces rues étroites, qui n’avaient pas alors de réverbères comme aujourd’hui… Ils sentirent bien siffler quelques balles qui rebondissaient contre les angles des pignons, mais ce fut tout, et ils purent, sans nouveau combat, sortir des faubourgs de la ville, alors tout entière à l’incendie, et se rallier, comme d’avance ils en étaient convenus, sous l’arche en ruine d’un vieux pont qui n’avait plus que cette arche, et qu’on appelait le Pont-au-Prêtre (peut-être à cause de la couleur de ses pierres qui étaient noires). Il coulait sous cette arche solitaire un filet de rivière, profondément encaissée, et ce fut là qu’ils se comptèrent… Or, comme ils ne savaient rien du sort de Des Touches et qu’ils avaient sur le cœur le poids affreux de l’absence des amis qui manquent à l’appel, ils résolurent de rentrer à Avranches, et ils y rentrèrent. Ils laissèrent sous l’arche du Pont-au-Prêtre leurs vareuses sanglantes qui les auraient trahis, et comme des ouvriers des faubourgs de la ville qui auraient couru au feu en toute hâte et en manches de che-