Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/196

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rection que nous allions prendre. D’ailleurs la campagne, le hallier, le buisson, les routes perdues, tout cela nous connaissait ! Nous étions des Chouans !

La Varesnerie, qui savait le pays par cœur, nous fit prendre par les terres labourées. Puis nous ouvrîmes une ou deux barrières fermées seulement avec des couronnes de bois tors et nous entrâmes dans des chemins qui ressemblaient à des ornières. Au bout de deux heures de marche à peu près, nous descendîmes dans un bas-fond où coulait une rivière au bord de laquelle était amarré un grand bateau destiné à charrier cet engrais que dans le pays on nomme tangue et qu’on tire au grelin, le long d’un chemin de halage, parallèle à la rivière dans toute sa longueur.

C’est dans ce grand bateau que ceux qui portaient Des Touches et M. Jacques les déposèrent, et c’est là que nous restâmes à attendre le jour, heureux d’avoir délivré l’un, mais le cœur glacé d’avoir perdu l’autre. Quand le jour vint nous prendre, nous pûmes juger de la blessure de M. Jacques. Il avait reçu une balle en plein cœur. Nous l’enterrâmes au bord de cette rivière inconnue, cet inconnu dont nous ne savions rien, sinon qu’il était un héros ! Avant de l’étendre dans la fosse que nous lui creusâmes avec nos couteaux de chasse, je cou-