Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/238

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répondit ! Qui sait ? À force de penser à une chose, on crée peut-être le hasard.

Le hasard m’apprit en effet, parce que je n’avais jamais cessé de penser à cet homme et de m’informer de son destin, qu’il vivait… et que mon grand abbé de Percy ne s’était pas trompé quand il l’avait vu et qu’il l’avait pris pour un fou. De Valognes, qu’il avait traversé, comme le roi Lear, par la pluie et par la tempête, revenant d’Angleterre, échappé à ceux qui le gardaient et le ramenaient dans son pays, il était allé tomber dans une famille qu’il avait épouvantée de la folie furieuse dont il était transporté. L’ambition trahie, les services méconnus, la cruauté du sort, qui prend parfois les mains les plus aimées pour nous frapper, tout cela avait fait de cet homme, froid comme Claverhouse, un fou à camisole de force, dont la vigueur irrésistible offrait le danger d’un fléau. On l’avait ténébreusement interné dans une maison de fous, où il vivait depuis plus de vingt ans. Je sus tout cela peu à peu, par lambeaux, comme on apprend les choses qu’on vous cache, mais quand je le sus, je me jurai de me donner la vue de cet homme, qu’une femme, qui l’avait connu, avait mis sa force d’impression à me peindre comme me l’eût peint un poète. L’état dans lequel je trouverais cet homme héroïque, mort tout entier et pour-