Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/243

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à personne… Elle la lui avait sauvée, en outrageant elle-même sa pudeur. Quand, à travers la fenêtre, les Bleus virent, du dehors où ils étaient embusqués, cette chaste femme qui allait dormir et qui ôtait, un à un, ses voiles, comme si elle avait été sous l’œil seul de Dieu, ils n’eurent plus de doute. Personne ne pouvait être là, et ils étaient partis ; Des Touches était sauvé ! Des Touches qui, lui aussi, l’avait vue, comme les Bleus… qui, jeune alors, n’avait peut-être pas eu la force de fermer les yeux pour ne pas voir la beauté de cette fille sublime, qui sacrifiait pour le sauver le velouté immaculé des fleurs de son âme et la divinité de sa pudeur ! Prise entre cette pudeur si délicate et si fière et cette pitié qui fait qu’on veut sauver un homme, elle avait hésité… Oh ! elle avait hésité, mais, enfin, elle avait pris dans sa main pure ce verre de honte et elle l’avait bu. Mademoiselle de Sombreuil n’avait bu qu’un verre de sang pour sauver son père ! Depuis, peut-être, Aimée avait souffert autant qu’elle ? Ces rougeurs, quand Des Touches était là, et qui la couvraient tout entière à son nom seul, qui ne l’avaient jamais inondée d’un flot plus vermeil que le jour où mademoiselle de Percy avait dit, sans le savoir, le mot qui lui rappelait le malheur de sa vie : « Des Touches sera votre témoin ! »