Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/44

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je t’assure, Fierdrap, que cette main-là avait quelque chose de très-corporel, et j’ai vu à deux pouces de ma figure et dans le rayon de ma lanterne, car presque tous les réverbères de la place étaient éteints, un visage…, est-ce croyable ? sur mon âme, plus laid que le mien ! un visage dévasté, barbu, blanchi, aux yeux étincelants et hagards, lequel m’a crié d’une voix rauque et amère : « Je suis le chevalier Des Touches ; n’est-ce pas que ce sont des ingrats ? »

— Mère de douleur ! s’écria mademoiselle Sainte, devenue blême. Êtes-vous bien sûr qu’il était vivant ?…

— Sûr, répondit l’abbé, comme je suis sûr que vous vivez, mademoiselle ! Voyez plutôt ! ajouta-t-il en relevant la manche de son habit, j’ai encore au poignet la marque de cette main frénétique et brûlante, qui m’a lâché après m’avoir étreint ! Oui, c’était notre belle Hélène, Fierdrap ! mais dans quel état de changement, de vieillesse, de démence ! C’était le chevalier Des Touches, comme il le disait. Je l’ai bien reconnu à travers les haillons du temps et de la misère ! J’allais lui parler, l’interroger… quand, d’un souffle, il a éteint la lanterne à la lueur de laquelle je le regardais, saisi d’un étonnement douloureux, et il a comme fondu dans la pluie, la rafale et l’obscurité !

— Et alors ?… dit M. de Fierdrap, devenu pensif.