Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/63

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d’Aimée, y versait une ombre sublime. Le gris et l’orangé, ces deux couleurs du soir, y descendaient et y jetaient je ne sais quels voiles comme il y en a sur les lacs de saphir de l’Écosse, sa primitive patrie. Moins heureuses que les montagnes qui ne connaissent pas leur bonheur et qui retiennent longtemps à leurs sommets les feux du soleil couchant et les caresses de la lumière, les femmes, elles, s’éteignent par la cime. Des deux blonds différents qui avaient, pendant tant d’années, joué et lutté dans les ondes d’une chevelure, « du poids de sa dot de comtesse », disait orgueilleusement le père d’Aimée de Spens avant sa ruine, le blond mat et morne l’emportait maintenant sur le blond étincelant et joyeux qui avait jadis poudré son front, si mollement rosé, de l’or agaçant de ses paillettes ; et c’est ainsi que, comme toujours, le feu, une fois de plus, mourait sous la cendre ! Si mademoiselle Aimée avait été brune, pas de doute que déjà, sur ces nobles tempes qu’elle aimait à découvrir, quoique ce ne fût pas la mode alors comme aujourd’hui, on eût pu voir germer ces premières fleurs du cimetière, comme on dit des premiers cheveux blancs que le Temps, dans de cruels essais, nous attache au front brin à brin, en attendant que le diadème mortuaire qu’il tresse à nos têtes condamnées soit