Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/81

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planches, sans aucune voile et sans gouvernail, se risquait pour le service du roi, de la côte de France à la côte d’Angleterre, à travers cette Manche toujours grosse de quelque naufrage… aussi froidement que s’il se fût agi d’avaler un simple verre d’eau !

— Et cela pouvait être la mer à boire ! interrompit l’abbé, qui, comme le prince de Ligne, aimait jusqu’aux bêtises de la gaieté.

— Car telle était surtout, — continua mademoiselle de Percy, trop partie pour s’apercevoir de l’interruption de son frère, — la fonction parmi nous du chevalier Des Touches ! Entre les gentilshommes qui hantaient le château de Touffedelys et qui y concertaient la guerre, il n’y avait, malgré le courage qui les distinguait et qui les égalisait tous, que ce jeune damoisel de chevalier Des Touches pour se mettre ainsi à la mer, comme un poisson, car vous vous en souvenez, Sainte ? c’était réellement à peine un canot que cette pirogue de sauvage qu’il avait construite et dans laquelle il filait, en coupant le flot comme un brochet, caché dans l’entre-deux des vagues et défiant ainsi toutes les lunettes de capitaines qui surveillaient la Manche et l’espionnaient, de chaque pointe de vague ou de falaise, dans ce temps-là ! Vous rappelez-vous, Sainte, qu’un soir de brume qu’il allait partir, vous voulûtes, en riant, des-