Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/82

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cendre dans cette frêle pirogue, et que vous si légère alors, poids de fleur ou d’oiseau, vous manquâtes de la faire chavirer, ma bergeronnette ! Et pourtant, c’était dans une pareille coquille de noix qu’il passait par les plus exécrables temps d’une côte à l’autre, toujours prêt à revenir ou à partir, quand il le fallait ; toujours à l’heure, exact comme un roi, le roi des mers ! Certes, parmi ses compagnons d’armes, il y avait des cœurs qui auraient aussi bien que lui tenté l’aventure, qui n’avaient pas plus peur que lui de laisser leurs cadavres aux crabes et pour qui la manière de mourir était indifférente, quand il s’agissait du roi et de la France ; mais tout en l’imitant, nul d’entre eux n’eût cru réussir et n’eût certainement réussi !… Pour cela, il fallait être un homme à part, plus qu’un marin ! plus qu’un pilote ! Il fallait enfin être ce qu’il était, cet étonnant jeune homme que la guerre civile avait pris, n’ayant vu la mer que de loin, et n’ayant jamais fait autre chose que de tirer des mouettes autour de la gentilhommière de son père ! Aussi les vieux matelots du port de Granville, amateurs du merveilleux, comme tous les marins, quand ils surent la périlleuse vie du chevalier, pendant dix-huit mois de courses à peu près continuelles, dirent-ils qu’il charmait les vagues, comme on a dit aussi de