Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/225

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ont, en effet, plus d’un trait de caractère pareil. Grégoire, comme Luther, fut un esprit dominateur. Il était homme par les passions, sans être, comme Luther, charnel et grossier. Il n’ajoutait pas l’invective à l’anathème. Il avait les passions élevées, les passions de l’esprit : c’est par là qu’il nous saisit et qu’il nous entraîne. Une foi ardente et profonde se mêlait en lui à l’instinct du pouvoir.

Tous les intérêts du temps, l’avenir des institutions chrétiennes, remplissaient sa vaste pensée. S’il agita le monde, ce fut pour raffermir sa croyance et sa moralité : il n’y a pas trop d’agitation à ce prix !

On peut admirer Grégoire sans accepter sa doctrine ; ses idées convenaient à son temps, car, en fait de gouvernement et de société, elles valaient mieux que les pratiques grossières d’un monde barbare. Il eut le sentiment de l’unité, d’accord en cela avec le vieux génie de Rome et avec le génie humain. Le Moyen Age a vécu des conceptions de ce grand esprit qui garda toute son autorité après sa mort. Ceux qu’il avait désignés passèrent après lui sur le trône. Il est vrai qu’il usa rudement de ce pouvoir qu’il disputa à la barbarie. Il portait dans la lutte de terribles coups. Ce fut un homme d’action porté au faîte d’une société farouche et qui n’eut pour la conduire que cette puissance morale dont il est, pour l’histoire, la vivante expression.