Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/233

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l’homme terrible, redouté si longtemps, le bon de Maistre, comme on dit le bon Homère, le bon Shakespeare. Le bon ! cette épithète de la puissance humaine et qui l’enserre si bien en ses deux syllabes que les Grecs disaient eux-mêmes du souverain des Dieux : le bon Jupiter !

Quand on ne peut plus montrer dans une figure placée et comme appendue, ainsi qu’un grand portrait, dans la préoccupation contemporaine, un trait oublié que l’admiration n’avait pas vu ou que quelque autre trait d’à côté plus développé ou plus puissant avait recouvert et caché, il faut s’en détourner sous peine de pléonasme d’idées, car la critique, cette observatrice qui se sert tout à la fois du télescope et du microscope, est tenue d’apercevoir dans ce qu’elle regarde quelque chose qu’on ne voyait pas, sous peine de manquer à son devoir. L’individualité complète, l’individualité de pied en cap de Joseph de Maistre, certes ! nous sommes heureux de la retrouver dans le livre d’Albert Blanc, qui l’avait mutilée, tronçonnée, et, pis que cela, déshonorée en un précédent travail. Mais cette individualité, qui n’en a pas fait le tour ? Qui ne sait pas l’écart de compas qu’il faudrait pour mesurer cet homme, qui va du génie à la plus grande âme, de la plus grande âme à l’esprit le plus séduisant, et chez qui toutes les qualités simplement aimables ne font pas croire, comme chez la plupart des autres hommes, à un affaiblissement dans la puissance ?…