Page:Barbey d’Aurevilly - À côté de la grande histoire, 1906.djvu/244

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quart d’heure passé ? Quel que soit le talent dont elles peuvent briller, ces espèces d’Études historiques nées à propos d’une question contemporaine, filles de l’occasion politique, ne valent pas pour la durée le moindre livre d’histoire. Pour qu’on revienne avec goût à ce genre de littérature, qui vieillit comme la politique elle-même, c’est-à-dire plus vite que les autres choses humaines, il ne faut rien moins que du génie. Joseph de Maistre et Burke ont eu cette fortune et ce privilège d’arrêter sous le regard de la postérité cette chose fugace, la brochure politique. Ils ont donné de la densité et de la fixité à cet éclair. Rare privilège ! Swift, ce pamphlétaire redoutable ; Junius, ce bourreau masqué, comme celui qui trancha la tête de Charles d’Angleterre ; Swift et Junius eux-mêmes ne l’eurent pas. On ne les lit que pour le bruit qu’ils firent. On ne les lit plus pour ce qu’ils sont.

Mais Thureau-Dangin n’est point de cette race. C’est un journaliste plus modeste et plus doux que ces journalistes éclatants dont les noms éclairent encore les œuvres mortes et les font regarder. Il n’a rien de commun avec ces lions, Burke et de Maistre, ni avec ces tigres, Swift et Junius. Il n’a point cette griffe que certains hommes mettent dans tout ce qu’ils écrivent. La griffe n’est point en lui, mais des facultés, rondes comme des pattes : le bon sens, mais qui ne devient jamais le grand sens ; la justesse du coup d’œil, qui voit bien ce qu’elle voit, mais qui n’en voit pas long…