Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dort là dans ta maison, ô Poète ! est aussi faible que toutes les autres, et moins pure peut-être. Ce qu’elle m’est, je ne le sais point, si ce n’est : ni mon amante ni mon amie. Ô histoire éternelle de toutes les femmes ! Mais de quels mystérieux anneaux est donc faite cette chaîne fragile qui nous unit ?

« Est-ce pitié, tendresse ou respect pour la douleur endurée ? Car, toi qui ne vois que les grands horizons du monde réfléchis dans le miroir de ton âme, panthéiste noyé et épars en toutes choses, planté sur ton rocher et en face de la Nature comme un Dieu Terme qui sépare les deux infinis de l’espace et de la pensée, tu as surpris sur les traits fanés de cette femme qu’elle avait eu, comme tous, sa part d’angoisses. Ton regard, dilaté comme celui des aigles, accoutumé à embrasser des lignes immenses, a saisi à travers cette beauté humaine ces imperceptibles vestiges que ce rude sculpteur intérieur qui, si souvent, brise le bloc qu’il voulait tailler, la Douleur, nous grave au visage comme des rayures dans le plus doux des albâtres ! Mais si la Douleur est sacrée, elle est commune ; elle n’est point un privilège parmi les hommes : elle les égalise comme