Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la Mort. Pourquoi donc, s’il n’y avait que l’adoration de la Douleur qui m’attachât à cette femme, pourquoi l’aurais-je plutôt choisie que toutes celles qui souffrent sur la terre ?…

« J’ai vu des femmes plus malheureuses, plus maltraitées du sort que celle-ci. Elles étaient la proie de nobles peines, elles répandaient de généreuses larmes en face du gibet où pendait l’enfant de leurs rêves, quelque grande espérance immolée ou le plus bel amour trahi, mères douloureuses qui s’usaient les paumes de leurs mains à essuyer les torrents qui leur jaillissaient des paupières ! J’ai passé près d’elles m’assouvissant de ces grands spectacles, m’y trempant comme Achille dans le Styx, afin de me rendre invincible ; j’ai passé muet, car je n’ignorais pas que l’épuisement de cette nature humaine qui ne peut souffrir ni pleurer toujours est le Dieu certain qui console. Qu’avais-je à leur dire, à ces désespoirs qui sont la plus glorieuse substance de nos cœurs, à ces souffrances qui nous déshonorent, à ce qu’il semble, quand nous ne les éprouvons plus, à ces Rachels qui ne veulent pas être consolées, à ces Catons d’Utique qui, trahis par l’épée, s’en fient mieux à la main nue et intrépide