Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/57

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un regard de femme, si la peine n’avait gonflé en les violaçant les veines fatiguées qui erraient et se perdaient aux paupières. Là retentissait la vie muette ailleurs, et aussi dans un sillon entre les sourcils, trace d’une pensée rarement absente. Quand cette pensée revenait plus triste ou plus amère, le sillon se creusait davantage, mais le rapprochement des sourcils n’était ni heurté ni même subit ; il se faisait avec une lenteur harmonieuse et n’altérait jamais la fixité habituelle du regard. Toute la physionomie de cette femme était dans ce simple et fréquent mouvement de sourcils. Le front était bas, les joues larges, la lèvre roulée et accusant dans son éclat terni les ardeurs fiévreuses de l’haleine, ce simoun du désert du cœur qui règne dans les bouches malades de la soif toujours trompée des voluptés de la vie !

Elle vint s’asseoir à la place ordinaire du Poète, en dehors de la cabane, et, s’appuyant le menton dans sa main, elle regarda la mer avec ses yeux aussi humides et aussi diaphanes que les flots dans une anse peu profonde. Le jour doux et argenté du matin adoucissait merveilleusement ce qu’il y avait de hâve dans cette beauté qui