Page:Barbey d’Aurevilly - Amaïdée, 1890.djvu/91

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manqué, Altaï ; je le dis avec tristesse, mais sans larmes. Je ne pleure pas en m’éloignant de toi.

« Mais seule ! Mais avec toi, mais avec Somegod, mais seule quoique avec tous deux, oh ! la vie était impossible. Je ne vous ressemble pas : à peine si je vous comprends. Vous, vous passez les jours à parler de Dieu et de l’âme, faisant avec la vie comme ce Grec dont tu m’as raconté l’histoire faisait avec la coupe de ciguë qu’il tarissait d’une intrépide lenteur. Vous êtes là, recueillis, austères, mais souriant bonnement à la faible femme que le monde insulte et condamne, et que vous, les sages, ne condamnez pas. — Je vous trouvai si beaux d’abord que je vous admirai et pris courage à vous entendre, vous demandant entre vous deux une place que je ne croyais pas quitter. Hélas ! l’esprit que vous aviez élevé en moi s’est bientôt évanoui et m’a abandonnée. Je ne puis avoir la majesté de votre attitude éternelle. Vous êtes trop grands. La Nature aussi, que Somegod adore, m’est demeurée inaccessible. Elle et vous ne pouvez vous emparer de ma misérable existence. Je ne